dimanche, septembre 18, 2005

LE QUOTIDIEN DU MEDECIN, Edition du 20 juillet 2005

Le décès d'une fillette après une appendicectomie
Les parents, médecins, portent plainte contre l'équipe médicale

Le décès d'une petite fille de 9 ans, après une appendicectomie pratiquée par coelioscopie dans une clinique de Carcassonne, a conduit le père de l'enfant, un pédiatre de cet établissement, à déposer plainte directement au pénal contre le chirurgien, l'anesthésiste et le radiologue qu'il accuse de négligence, d'incompétence et à qui il reproche de lui avoir menti tout au long de cette journée tragique. Le rapport d'expertise, très sévère pour les médecins en cause, est contesté sur plusieurs points par la défense.


AMÉLIE Birembaux, 9 ans, est décédée le 4 septembre 2004 à l'hôpital Purpan de Toulouse où elle avait été transportée d'urgence après avoir été opérée la veille à la clinique Montréal de Carcassonne (Aude) d'une appendicectomie. Un drame qui a mis en émoi tout une région et jeté un grand trouble dans la clinique, d'autant que le père de la fillette exerçait comme pédiatre au sein de cet établissement.
Dès lors, il n'est pas surprenant que les parents de cette petite fille - dont la mère est également médecin - aient cherché peut-être plus que d'autres à comprendre les raisons de la catastrophe. Et le verdict du Dr Birembaux est sans ambiguïté : le chirurgien, le Dr Patrick Cohen, a fait preuve d'incompétence en utilisant une technique, la coelioscopie, sur une enfant « alors que, dit-il, des contre-indications formelles existent dans ce cas » ; l'anesthésiste, le Dr Jean-Pierre Gounelle, n'a jamais pris en compte les problèmes rencontrés par la petite fille après son intervention alors qu'elle multipliait les malaises et que les signes d'alerte « auraient dû inciter l'équipe médicale à réintervenir d'urgence et très rapidement » ; enfin le radiologue, le Dr Jacques Bernier, a fait preuve d'une extrême négligence en n'interprétant un scanner que trois heures après qu'il eut été pratiqué sur Amélie.

Rapport d'expertise accablant.
Les faits rapportés par le Dr Birembaux et confirmés dans une large mesure par le rapport d'expertise sont accablants : dès le début de l'intervention, le chirurgien aurait perforé l'artère illiaque de l'enfant, ce qui aurait provoqué une hémorragie importante, laquelle aurait été sous-estimée par l'équipe médicale.
Le comité d'experts (Dr Henri Boccalon, Dr Jacques Périole, Dr Bernard Petel, experts auprès de la cour d'appel de Toulouse) est extrêmement sévère : « Tout au long de la journée du 3 septembre 2004, accuse leur rapport, les Drs Cohen, Gounelle et Bernier se sont rassurés et n'ont pas pris en compte l'importance de la déglobulisation avec passage de 4 380 000 globules rouges à 2 600 000 globules rouges en huit heures de temps.
Une telle perte sanguine imposait une réintervention chirurgicale dans les plus brefs délais, afin de combattre l'origine de l'hémorragie et d'assurer une hémostase efficace. » Et les experts d'insister sur le fait « qu'incontestablement, l'absence d'open-cœllio, de conversion et de réintervention chirurgicale précoce a été responsable d'une hémorragie sous-estimée, responsable du décès d'Amélie Birembaux ».
Pour le père de l'enfant, il y a eu incompétence du chirurgien et « pire, peut-être, dit-il, mensonge ». Tout au long de la journée, explique le Dr Birembaux, « l'équipe médicale nous a caché les risques, nous a caché qu'il y avait une hémorragie active, a minimisé devant nous les malaises d'Amélie, alors que nous nous en inquiétions. "Aujourd'hui, vous n'êtes pas médecins, vous êtes parents", nous disaient-ils ».
Une attitude sévèrement jugée par les experts, qui reprochent aussi au chirurgien de n'avoir pas exposé « aux parents d'Amélie les risques propres à la coeliochirurgie ; ce défaut d'information est d'autant plus préjudiciable que la littérature médicale émet les plus fortes réserves sur la coeliochirurgie pédiatrique ».
Le Dr Cohen a choisi pour l'instant de garder le silence mais son avocat, Me Georges Lacoeuilhe, affirme que c'est aujourd'hui « un homme abattu et cassé » par ces accusations . « Nous contestons les conclusions des experts sur au moins deux points, affirme l'avocat du chirurgien. Sur la méthode chirurgicale employée, en l'occurrence la coelioscopie, il y a plusieurs écoles de pensée et il est difficile de mettre en cause sur ce point le Dr Cohen. »
L'avocat insiste sur le fait que le chirurgien a contrôlé « un saignement en cours d'intervention et qu'il n'y avait plus de saignement en fin d'intervention ». C'est-à-dire, aucun signe d'hémorragie. « Le Dr Cohen a donc bel et bien assuré une hémostase efficace », insiste Me Lacoeuilhe.
Il n'en demeure pas moins que, pour le père, comme pour les experts, les multiples malaises ressentis par l'enfant tout au long de l'après-midi après son transfert de la salle de réveil vers sa chambre auraient dû alerter le corps médical. « De plus, ajoute le Dr Xavier Birembaux, trois heures pour lire et donner les résultats d'un scanner, c'est inadmissible. »
Et le pédiatre de s'insurger contre le fait « que ces médecins continuent à exercer au sein de cet établissement, comme si de rien n'était ». Mais, pour le directeur général de la clinique Olivier Debay, qui est aussi un responsable de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et vice-président de la Commission d'accréditation des établissements à la Haute Autorité de santé (HAS), « il n'est pas du pouvoir de l'établissement de sanctionner des médecins libéraux ». Et de regretter « les propos tenus par le Dr Birembaux à son encontre dans la presse locale ».

Plainte au pénal.
Saisi, l'Ordre départemental des médecins de l'Aude n'a pris aucune décision. Ce qui conduit encore le Dr Birembaux à dénoncer « une institution présidée au niveau local par un chirurgien, qui travaille précisément dans cette clinique ».
Le père et la mère d'Amélie, à la lecture du rapport d'expertise, ont décidé de saisir par voie directe, sans passer par une plainte auprès du juge d'instruction, le tribunal correctionnel de Toulouse. « Nous voulons presser le pas, explique ainsi Me Paul-Albert Iweins, leur avocat. Une autre procédure aurait pris plusieurs années sans doute, alors que de cette manière l'affaire devrait venir en examen dans trois à six mois. »
Une première audience aura lieu en septembre, mais les vrais débats se dérouleront sans doute au début de l'année prochaine. « Il ne s'agit en aucun cas, insiste l'avocat, de demander une quelconque indemnité, mais de faire en sorte que de tels drames ne se produisent plus. C'est le souhait profond des parents d'Amélie, qui voudraient au moins que la mort de leur fille serve d'exemple. »
Le Dr Xavier Birembaux n'exerce plus à la clinique Montréal de Carcassonne. Il travaille désormais pour l'AP-HP (Assistance publique des Hôpitaux de Paris), dans le cadre de missions dans les DOM-TOM. Il rejoindra ainsi dans quelque jours l'hôpital de Basse-Terre en Guadeloupe.
L'Agence régionale de l'hospitalisation (ARH) du Languedoc-Roussillon a lancé une enquête à la clinique Montréal de Carcassonne pour vérifier que les protocoles et les procédures en matière de chirurgie et d'anesthésie pédiatrique y sont bien respectées. Les résultats devraient en être connus dans quelques semaines.


> JACQUES DEGAIN

vendredi, septembre 16, 2005

L'INDEPENDANT, Edition du 14 septembre 2005

Le procès sur la mort d’Amélie Birembaux aura lieu le 1er février 2006

Une audience de consignation se déroulait, hier à Toulouse. Elle était consacrée à la disparition de cette enfant de 9 ans, décédée il y a un an après une opération de l’appendicite à la clinique Montréal. Par ailleurs, l’enquête administrative a progressé, contrairement à celle de l’Ordre des médecins.


C’est le mercredi 1er février 2006, à 8h30, que la cinquième chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Toulouse se penchera sur la mort d’Amélie Birembaux. Eu égard à l’épaisseur du dossier et au nombre de témoins attendus, le tribunal a décidé de consacrer une journée entière à l’examen de cette affaire, dans laquelle trois médecins carcassonnais sont cités à comparaître pour homicide involontaire.

Conclusions sévères Le 3septembre 2004, Amélie Birembaux, 9 ans, décédait à l’hôpital de Toulouse Purpan, quinze heures après avoir subi une opération de l’appendicite sous cœlioscopie à la clinique Montréal de Carcassonne. Très rapidement, le père de l’enfant, lui-même médecin à Montréal, faisait saisir le dossier médical et engageait une action en justice pour demander une expertise.
Les conclusions de cette enquête, menée par trois médecins experts auprès de la cour d’Appel de Toulouse, étaient rendues publiques en juin dernier, et s’avéraient sévères pour les trois praticiens ayant participé à l’opération de l’enfant.
Elles établissaient que la mort d’Amélie était consécutive à une hémorragie, provoquée au tout début de l’opération et diagnostiquée beaucoup trop tard, après le réveil de la fillette.
C’est sur la base de ces conclusions que les parents d’Amélie Birembaux ont cité, directement devant le tribunal, pour "homicide involontaire", le chirurgien Patrick Cohen, l’anesthésiste Jean-Pierre Gounelle et le radiologue Jacques Bernier.
Ce dernier est le seul à s’être rendu à l’audience d’hier,qui n’avait pour objet que de fixer une somme devant être consignée par les parents jusqu’à l’audience et de déterminer la date du procès.

Phase finale pour l’ARH
Mais la procédure pénale n’est pas la seule en cours dans cette affaire. Depuis le 10juin, Xavier Birembaux a saisi l’Agence Régionale de l’Hospitalisation (ARH, l’administration de tutelle des établissements de soins), qui a ordonné une enquête administrative.
Celle-ci a progressé assez vite: les deux enquêteurs de l’ARH ont rendu leurs premières conclusions, qui ont été communiquées à la direction de la clinique Montréal, laquelle a apporté tout récemment ses réponses aux remarques soulevées par la première phase de l’enquête.
"Désormais, les deux enquêteurs doivent donner leur conclusion définitive", explique le directeur-adjoint de l’ARH Languedoc-Roussillon, Gérard Valette.
Ce n’est qu’à l’issue de cette dernière phase que les résultats pourront être rendus publics. Précisons toutefois que cette enquête ne porte que sur le fonctionnement de la clinique et doit déterminer si un dysfonctionnement purement administratif peut être impliqué dans la mort d’Amélie.
Sur le plan de la déontologie médicale, c’est le conseil de l’ordre des médecins qui est compétent. Celui-ci, saisi également par le docteurBirembaux, a évoqué l’affaire dans une réunion du 6juillet dernier, et l’instruction de ce dossier n’a guère progressé depuis, comme l’a confirmé hier à L’Indépendant le président départemental, le docteur Alain Rind. Quoi qu’il en soit, si une faute était établie, seul le conseil régional de l’ordre serait habilité à prendre une sanction.

Laurent Rouquette