jeudi, mai 24, 2007

Minute n° 2307 DU 9 MAI 2007 (I)

Erreur médicale

L’ordre des médecins donne un coup de Javel sur les blouses blanches

L’ordre des médecins prétend défendre les « principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». Dans l’affaire de la mort d’Amélie, il a protégé les toubibs. Le conseil national vient de blanchir un chirurgien et un anesthésiste éclaboussés par le décès de cette petite fille de neuf ans dans une clinique de Carcassonne.

Le 3 mai, Amélie aurait eu 12 ans. Malheureusement, elle n’est plus de ce monde. Elle est décédée le 3 septembre 2004 à la clinique Montréal de Carcassonne dans l’Aude. Non pas d’une maladie incurable mais des suites d’une banale opération de l’appendicite. Retour sur cette journée en enfer. A 8 h 15, le chirurgien débute l’opération. Il perfore l’artère iliaque droite mais n’évalue pas la gravité de sa bé­vue. Amélie est transférée en salle de réveil. Vers midi, l’anesthésiste note des pertes sanguines anormales sans pour autant s’alarmer. À 15 h 00, le ra­diologue pratique un scanner mais il n’en analyse pas attentivement les ré­sultats, car il y a d’autres malades dans la salle d’attente. Ce n’est finalement qu’à 18 h 00 qu’une lecture plus attentive de ce scanner permet de déceler une grave hémorragie au niveau de l’artère ! Plutôt que de réopérer en ur­gence la petite fille, on préfère alors s’en débarrasser : Amélie est transférée vers l’hôpital des Enfants de Toulouse. Il est trop tard. Malgré une opération de la dernière chance, Amélie ne va pas s’en tirer. À 0 h 15, son décès est officialisé.

Un rapport d’expertise accablant

Aux parents, on explique que c’est la faute à pas de chance. Mais pas de chance pour les menteurs, les parents d’Amélie connaissent les règles de l’art. Le père, Xavier Birembaux, est pédiatre à la clinique… Montréal, et la mère, Caroline, médecin biologiste. Ils découvrent rapidement que le chirurgien n’a pas pris toutes les précautions nécessaires. Pour cette opération, il a utilisé la technique de la « coeliochirurgie », alors que des recommandations médicales de 1996, qui émanent de la Haute Autorité de Santé, stipulent que cette technique représente un danger quand il s’agit d’enfants. Bref le chirurgien a ignoré les consignes de la Hau­te Autorité, dépendant du ministère de la Santé, qui, en pédiatrie, préconisent de pratiquer une « open coelioscopie ».
Les parents d’Amélie décident de porter plainte contre le chirurgien, l’anesthésiste et le radiologue. En juin 2005, un rapport d’expertise ordonné par le tribunal de grande instance de Toulouse est rendu. Il est accablant. Le chirurgien, le docteur C., est sévèrement épinglé : « Les soins n’ont pas été diligents et conformes aux règles de l’art et aux données acquises de la science […] car la pratique de l’open coelioscopie aurait incontestablement évité la perforation de l’artère iliaque et la conversion chirurgicale aurait permis de contrôler l’hémorragie. »
Le chirurgien a d’ailleurs avoué être passé outre les recommandations de 1996 : « Pendant la réunion d’expertise, le Dr C. dit ne pas avoir pris connaissance des recommandations concernant l’appendicite chez l’enfant. » Pire, il n’a pas informé les parents du danger que courrait leur fille : « Le Dr C. n’a jamais exposé aux parents d’Amélie les risques propres à la coeliochirurgie, ce défaut d’information est d’autant plus préjudiciable que la littérature médicale émet les plus fortes réserves sur la coeliochirurgie pédiatrique. » Le rapport souligne aussi que le chirurgien, l’anesthésiste et le radiologue ont accumulé les boulettes : « Tout au long de la journée les docteurs se sont rassurés et n’ont pas pris en compte l’importance de la déglobulisation […] Une telle perte sanguine imposait une ré-intervention chirurgicale dans les plus brefs délais. »

Deux mois de suspension, c’était encore trop…

Et enfin, quand ils ont compris leur erreur, ils ont caché la vérité : « Il est tout aussi regrettable qu’ils n’aient pas cru devoir avertir les parents d’Amélie de ce diagnostic, pas plus que les médecins transporteurs du Samu de Carcassonne. Le diagnostic aurait dû conduire les médecins concernés à considérer que l’enfant était intransportable. »
Malgré ce rapport lourd comme un acte d’accusation, en mars 2006, le tribunal correctionnel de Toulouse décide de relaxer les trois médecins. Leurs négligences et leurs erreurs ne constitueraient pas des fautes graves. Pour les parents, c’est dur à avaler, mais ils ont encore un espoir que les trois hommes soient sanctionnés… mais par leurs pairs. Les époux Birembaux ont en effet saisi le conseil de l’ordre des médecins.
Si le conseil départemental de l’Aude (alors présidé par un chirurgien exerçant à la clinique Montréal) fait la sourde oreille, le conseil régional du Languedoc-Roussillon va prendre ses responsabilités. Estimant qu’en passant outre les re­commandations des autorités de Santé et qu’en prenant les parents d’Amélie pour des imbéciles ils n’ont pas respecté le code de déontologie, le conseil va condamner le chirurgien et l’anesthésiste à 12 mois d’interdiction d’exercer la médecine, dont 10 avec sursis. Certes, la sanction est légère mais elle est symbolique. Pour une fois, des médecins osent souligner que certains d’entre eux ne sont pas irréprochables.
Cette tache sur la profession, le conseil national vient toutefois de la faire disparaître. Le 21 mars dernier, saisi en appel par les deux sanctionnés, le conseil national a la­vé les blouses blanches de tout soupçon ! Bref, si Amélie est morte, ça serait bien la faute à pas de chance. Pour Xavier Birembaux (voir notre entretien), c’est la goutte qui fait déborder le vase. Dégoûté mais pas abattu, il promet de poursuivre le combat afin que ceux qui sont responsables de la mort de sa petite Amélie soient officiellement démasqués.
Pierre Tanger