lundi, mai 14, 2007

LE PARISIEN DU 3 MAI 2007 (I)
Décès d'Amélie Birembaux

Le conseil national de l'Ordre en accusation
Un chirurgien qui ne suit pas des recommandations médicales édictées en 1996. Qui perfore une grosse artère au cours de l'opération, sans ré-intervenir après. Un scanner montrant une forte hémorragie interne, qui ne sera lu que trois heures plus tard. Des parents menés en bateau pendant des heures. Une petite fille transférée ailleurs, plutôt que d'être réopérée en urgence. Une vertigineuse chaîne de ratés humains et médicaux. Avec, au bout, la mort d'Amélie Birembaux, 9 ans, victime d'une hémorragie fatale après quinze heures d'agonie, alors qu'elle devait subir une banale ablation de l'appendice. C'était le 3 septembre 2004, à la clinique Montréal de Carcassonne. Depuis ce terrible jour, les parents d'Amélie, tous deux médecins - le père était même pédiatre dans cette clinique -, ont décidé de se battre, afin de faire émerger la vérité. Au nom de leur petite fille disparue. Mais aussi, au nom du «droit des malades», encore trop souvent bafoué.
Bafoué. Balayé. Torpillé. Et pire encore, depuis fin mars, disent-ils : alors qu'en juillet 2006 (lire le parcours du combattant, ci-dessous), deux des trois médecins mis en cause avaient été lourdement condamnés par le conseil régional de l'Ordre du Languedoc-Roussillon, à douze mois d'interdiction d'exercer la médecine (dont dix avec sursis), fin mars 2007, le conseil national de l'Ordre vient tout bonnement... d'annuler cette décision, en appel. En clair ? Les praticiens ont été blanchis.
Comment une telle décision est-elle possible, alors même que deux rapports d'expertises, totalement indépendants (en ligne sur le site «amelieb.com») sont aussi accablants l'un que l'autre - «les soins n'ont pas été diligents et conformes aux (...) données acquises par la science», une «hémorragie importante» a été «sous-estimée», etc. ? Installé en Guadeloupe depuis le drame, mais présent à Paris en mars, Xavier Birembaux accuse : «ces expertises n'ont en fait même pas été utilisées». Et d'accuser le conseil de l'Ordre d'être une institution «fantoche», avant tout soucieuse de «protéger ses pairs».
L'Ordre des médecins se relèvera-t-il de ce nouveau scandale ? Mi-février, dans nos pages, nous révélions déjà l'existence de juteuses indemnités ainsi que de «parachutes dorés» en fin de mandat, alloués à certains élus du conseil de l'Ordre de Paris - depuis fin mars, une enquête de l'Inspection générale des Affaires sociales est d'ailleurs en cours. Mais ces dysfonctionnements financiers ne sont rien au regard d'une autre interrogation, bien plus troublante celle-là : les conseils de l'Ordre des médecins protègent-ils, vraiment, les malades, lorsque cela est nécessaire ? Au vu d'un certain nombre de faits, la question n'est pas superflue.
Car nous avons découvert, au cours de cette enquête, que lors d'un procès devant une instance ordinale, seul... le médecin peut pour l'heure se pourvoir en appel (lire l'encadré ci-dessous) ! C'est d'ailleurs en utilisant cette «faille» que les praticiens de Carcassonne ont obtenus d'être rejugés (et comment...) au niveau national.
Autre point : si, lorsqu'un meurtrier ou un délinquant est condamné, son nom tombe dans le domaine public en quelque sorte, les (rares) médecins condamnés par le conseil de l'Ordre bénéficient d'un véritable traitement de faveur : la sanction n'est pas envoyée au directeur de l'établissement où il exerce, ni à ses patients (que cela pourrait peut-être intéresser. Tout juste est-elle affichée, pendant... un mois, au conseil de l'Ordre où la sentence a été prononcée. «Mais rien n'empêche les personnes qui le désirent d'aller consulter la liste des sanctions», précisait, pince-sans-rire, le secrétaire général du conseil national de l'Ordre des médecins, Jacques Lucas, lors d'une interview à Paris Match en 2006.
Conseil d'Etat, voire cour européenne de Justice... Xavier Birembaux (et sa femme), lui, mènera son combat «jusqu'au bout». Outre la condamnation des médecins qui lui ont «pris» leur fille, il réclame un vrai débat sur l'évaluation des pratiques médicales, mais aussi sur les missions du Conseil de l'Ordre des médecins, en qui il ne croit plus. Et se tourne, aujourd'hui, vers les candidats à la présidentielle : «Peuvent-ils me garantir que nous sommes bien dans un Etat de droit ?»
Odile Plichon