jeudi, février 02, 2006

LIBERATION, édition du 2 février 2006

La famille médicale s'explique au tribunal
Amélie, 9 ans, fille d'un praticien, est morte après une banale opération de l'appendicite. Procès.


Un chirurgien qui ne se rend pas compte qu'il a perforé une artère, un radiologue qui prend trois heures pour analyser un scanner et un anesthésiste qui reste insensible aux malaises de sa patiente commettent-ils une «erreur de diagnostic» ou une «faute caractérisée» ? En tout cas, la petite Amélie Birembaux, 9 ans, est morte après une banale opération de l'appendicite à la polyclinique Montréal de Carcassonne le 4 septembre 2004. Le tribunal correctionnel de Toulouse, qui les jugeait hier, dira si les docteurs Patrick Cohen, Jacques Bernier et Jean-Pierre Gounelle n'ont fait que se «tromper» ou s'ils sont «condamnables» au pénal pour avoir commis un «homicide involontaire».

Excuses. Les accidents hospitaliers se traitent d'ordinaire devant les instances civiles avec pour épilogue des dédommagements par les assurances. «Mais la vie de ma fille n'a pas de prix», a expliqué son père au bord des larmes. S'il a choisi la voie de la citation directe (qui évite une instruction), reprend-il, c'est parce que les expertises réalisées établissent déjà, selon, lui, «l'incompétence de ces docteurs». Et parce qu'une condamnation signifierait que les médecins ne sont désormais plus exempts de rendre des comptes devant la justice pénale.

Digne, toujours. A peine Xavier Birembaux, le père d'Amélie, a-t-il été submergé par l'émotion lorsqu'il s'est excusé auprès de son épouse d'«avoir fait confiance à ces médecins». Il leur a fait confiance parce qu'il travaillait avec eux dans la même clinique en tant que pédiatre. Or c'est peut-être, comme un terrible paradoxe, ce qui a coûté la vie à sa fille. Les médecins se piquent généralement de traiter au mieux leurs pairs ou leurs proches. Comme si, entre membres de la famille médicale, l'accident était impossible. L'anesthésiste n'a ainsi pas voulu croire que le chirurgien pouvait avoir eu la maladresse de perforer l'artère iliaque de sa patiente qui avait alors des malaises. «Je ne me suis pas précipité sur le scanner, explique le radiologue, parce que mes confrères ne manifestaient aucune inquiétude.» Les trois médecins assuraient au pédiatre Xavier Birembaux qu'il n'y avait «rien de grave». Lequel reconnaît s'être interdit jusqu'au bout de donner un avis sur l'état de sa fille pour «ne pas interférer dans le travail de mes confrères».

Transfert.
Amélie est décédée à l'hôpital pour enfants de Toulouse quinze heures après son opération à Carcassonne. «Je ne comprends pas ce transfert, demande le procureur. Soit rien de grave n'affectait Amélie et il ne se justifiait pas. Soit il existait le soupçon d'une perforation de l'artère iliaque, mais il fallait alors en avertir Toulouse.» Ce qui n'a pas été fait. «Les médecins de Carcassonne se sont-ils trompés, trompant ainsi leurs interlocuteurs ? reprend le magistrat. Ou bien ont-ils menti pour ne pas assumer leurs responsabilités ?» Il a laissé au tribunal le soin de choisir entre les deux versions. Jugement le 29 mars.

Gilbert LAVAL