vendredi, février 03, 2006

AFP, mercredi 1 février 2006, 21h10

Opération mortelle: une famille veut une sanction pénale de l'incompétence

Les poursuites engagées par une famille de médecins devant le tribunal correctionnel de Toulouse, contre l'équipe médicale qui avait opéré d'une appendicite leur fille décédée le jour même, ont donné lieu mercredi à un vif débat sur la possibilité de condamner pénalement une accumulation de ratés médicaux.
Les Dr Xavier et Caroline Birembaux poursuivaient pour homicide involontaire le chirurgien, l'anesthésiste et le radiologue qui avaient opéré par coelioscopie et suivi leur fille Amélie, 9 ans, le 3 septembre 2004 à la clinique Montréal de Carcassonne, jusqu'à son transfert à l'hôpital Purpan de Toulouse.
Elle y était décédée peu après minuit d'une hémorragie interne consécutive à l'opération, dont l'importance avait été "sous-estimée", selon un rapport d'expertise de juin 2005.
Cette expertise civile contradictoire concluait notamment que "tout au long de la journée (...), les docteurs (...) se sont rassurés et n'ont pas pris en compte l'importance de la déglobulisation (...) qui imposait une ré-intervention chirurgicale dans les plus brefs délais", alors que l'enfant, opérée à 08H30, souffrait, montrait des analyses sanguines alarmantes, et avait fait un malaise dès 15H00.
Le rapport reprochait notamment au chirurgien Patrick Cohen un mode opératoire présentant des risques d'hémorragie chez un enfant, à l'anesthésiste Jean-Pierre Gounelle d'avoir sous-estimé l'état de la fillette, et au radiologue Jacques Bernier d'avoir mis trois heures pour déceler un "saignement actif" sur un scanner.
"On a eu la preuve médicale que notre enfant n'a pas reçu les soins qu'il fallait, j'attends de la justice d'avoir la preuve juridique que ces gens n'ont pas fait leur travail, ce n'est pas le procès de l'erreur médicale mais de gens qui ont été incompétents" a expliqué Xavier Birembaux.
La défense a contesté le principe même des poursuites pénales à la lumière de la loi du 10 juillet 2000 qui a rendu plus difficiles les poursuites pénales en cas d'accidents.
Ce débat juridique s'est doublé d'un autre au cours duquel le procureur Jean Cavaillès et la défense ont émis des réserves quant au choix de la procédure de citation directe retenue par les plaignants, au lieu du dépôt d'une plainte qui aurait conduit à la désignation d'un juge d'instruction. Cette démarche a "le mérite de la clarté et de la rapidité", a souligné l'avocat des parties civiles, Me Paul-Albert Iweins.
"Je ne partage pas votre admiration pour la saisine directe, à l'heure ou on dit trop que les juges d'instruction ne servent à rien", a rétorqué le procureur, ajoutant qu'une expertise civile ne pouvait répondre aux questions indispensables pour une mise en cause pénale depuis la loi de juillet 2000: "y a-t-il causalité directe, chaîne de liens ininterrompue entre les fautes et le sinistre, et en cas de faute indirecte y a-t-il eu un manquement caractérisé à une obligation de prudence?".
Le procureur n'a pas fait de réquisitions précises. Il n'a pas exclu que le tribunal puisse retenir la cause directe contre le chirurgien auteur de l'hémorragie, en raison de ses choix techniques. Pour d'éventuelles causes indirectes, il faut "dire si l'équipe a fait un mensonge délibéré sur l'état de l'enfant pour obtenir son transfert vers Toulouse".
Me Georges Lacoeuilhe, avocat du chirurgien, a reconnu des "retards", des "ratés" qui ont provoqué une "perte de chances, ce qui peut entraîner une responsabilité civile mais en aucun cas pénale". Le radiologue seul a reconnu une "faute". Les avocats des trois médecins ont demandé la relaxe. Le jugement a été mis en délibéré au 29 mars.